


Le sentiment de présence en réalité virtuelle : rôle modérateur des facteurs humains sur la performance
Une thèse en cotutelle internationale en Psychologie - Neurosciences cognitives & computationnelles
(Université de Caen Normandie, CIREVE / ERLIS, Université de Montréal, ARViPL).
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Background:
- La réalité virtuelle s'est imposée au cours des deux dernières décennies comme un nouveau paradigme pour la recherche et les applications scientifiques, notamment dans les domaines des neurosciences, des sciences du comportement et de la psychothérapie (Gregg & Tarrier, 2007 ; Foreman, 2010 ; Scozzari & Gamberini, 2011). Cette technologie, et sa capacité à simuler des situations complexes sur mesure, offre aux chercheurs la possibilité d'étudier le comportement dans des environnements contrôlés et personnalisés appelés études in virtuo. Les environnements virtuels permettent au sujet d'interagir avec une simulation numérique via un ensemble de techniques informatiques couvrant un ou plusieurs systèmes sensoriels (vision, toucher, audition, vestibule...) qui vont se superposer aux sens naturels du sujet pour créer un filtre multisensoriel artificiel. Ce filtre, couplé aux qualités immersives de l'interface telles que la vision stéréoscopique, le son spatialisé ou le head tracking, permet l'émergence d'un sentiment de présence, l'impression d'être " là " dans l'environnement virtuel (Heeter, 1992 ; Sheridan, 1992).
- Ce sentiment de présence est au cœur de la réalité virtuelle : c'est ce phénomène qui va permettre au sujet de se sentir "comme s'il était là" et donc au chercheur d'observer son comportement "comme s'il était là". Ce sentiment de présence, conséquence subjective de l'immersion technique, permet d'ajouter la dimension écologique, longtemps oubliée dans l'étude du comportement en laboratoire. L'émergence et le maintien d'un sentiment de présence ont été reconnus comme une partie essentielle du développement des environnements virtuels depuis leur création, et l'utilisation de la réalité virtuelle dans la recherche scientifique ne fait pas exception à cette règle. En effet, le but ultime de la réalité virtuelle dans la recherche comportementale est de rendre l'interface technique de simulation complètement invisible pour le sujet afin de provoquer un sentiment de présence optimal et ainsi d'observer un comportement aussi proche que possible du comportement spontané pour une situation donnée. Aujourd'hui, le concept de sentiment de présence rassemble les nombreux et très différents acteurs de la réalité virtuelle, de l'informaticien au psychologue et thérapeute, en passant par les spécialistes du mouvement, de la perception ou de la cognition.
- Mais si plus de vingt ans de recherches sur ce sentiment de présence nous ont beaucoup appris sur le phénomène, par exemple sur les facteurs immersifs les plus appropriés à son émergence ou les différentes manières de le mesurer, notre compréhension globale de la présence reste très limitée. Ce travail de recherche s'inscrit dans ce cadre exploratoire et vise à faire avancer l'émergence d'un corpus de connaissances sur le concept de présence et plus largement à développer un cadre méthodologique pour l'ensemble des chercheurs et acteurs de la réalité virtuelle. Dans ce contexte, notre recherche propose d'examiner une question centrale et sans réponse sur le sentiment de présence : cette question, posée à l'aube de la réalité virtuelle, porte sur la relation entre la présence d'un sujet et sa performance in virtuo. Un sujet plus présent sera-t-il nécessairement plus performant dans une tâche virtuelle qu'un sujet moins présent ? Que ce soit dans un but de diagnostic ou d'investigation du comportement humain, cette question est absolument fondamentale : si la présence favorise la performance, par exemple la performance dans un test neuropsychologique, elle devient un biais systématique inhérent à l'outil qui doit être contrôlé pour toute expérience virtuelle rigoureuse.
- Si cette question est restée très peu étudiée dans la littérature, malgré ses sérieuses conséquences fondamentales et méthodologiques, c'est en partie à cause de la difficulté à définir et à quantifier la relation puisque beaucoup d'autres variables (sexe, style cognitif, susceptibilité au cybersickness, expérience des jeux vidéo) sont suspectées de jouer un rôle dans la relation. Ainsi, ce projet de recherche propose d'analyser la relation dyadique entre présence et performance dans un modèle plus global intégrant ces facteurs humains. Quatre expériences suivant le même cadre et permettant d'éclairer ces zones d'ombre seront réalisées : différentes formes de performance in virtuo seront évaluées (performance à un test neuropsychologique des fonctions exécutives, performance à un test d'orientation spatiale et performance à un test scolaire de mémoire sémantique) tout en mesurant les différents facteurs décrits. Des études expérimentales et des analyses factorielles permettront d'identifier l'impact de chaque facteur, tout en dessinant un modèle théorique des facteurs humains et de la performance en réalité virtuelle.
- Les résultats de cette thèse ont permis de développer le modèle théorique de l'Angle Phi, qui propose une compréhension des interactions entre facteurs humains, facteurs système et performance, ainsi que PhiVR, un logiciel conçu pour évaluer les capacités immersives d'un système, le profil cognitif d'un individu et ainsi prédire son expérience en réalité virtuelle. Chaque étude sera plus précisément détaillée sur ce site lors de sa publication.
Neuroprésence

- Le test de tri de cartes de Wisconsin est une implémentation du WCST traditionnel (Berg, 1948) pour les affichages tête haute en réalité virtuelle et les CAVE réalisés au CIREVE. Le WCST est considéré comme une mesure globale des fonctions exécutives, incluant une sensibilité élevée au dysfonctionnement du lobe frontal (Milner, 1963 ; Lange et al., 2018).
- Tous les mécanismes du test neuropsychologique papier-crayon sont respectés : les sujets sont immergés dans un environnement de type Far West américain construit pour les besoins de l'expérience. Ils sont assis sur un chariot mobile et doivent répondre au test en manipulant un laser virtuel via les contrôleurs. La cible et les cartes initiales apparaissent à l'arrière d'un autre chariot mobile. L'environnement se compose de cinq grandes zones immersives intégrant toutes des sons spatialisés : une ville, une rivière, une mine d'or, une prairie et un village de bandits. La performance est calculée en fonction du nombre total d'essais, du nombre d'essais pour trouver la première règle et du nombre d'erreurs commises.
- La passation en réalité virtuelle de 50 participants a été comparée à la passation traditionnelle papier-crayon de 50 participants. Des analyses statistiques ont été faites 1) pour comparer les performances entre les sexes et les groupes et 2) pour évaluer comment les performances différaient entre les participants du groupe de modalité virtuelle en fonction des facteurs humains : sexe, cybersickness, style cognitif, expérience de jeu vidéo.
Paper submitted.
Authors: A. Maneuvrier, H. Ceyte, P. Renaud, R. Morello, P. Fleury, L. Decker.
Spatiopresence

- Dans le cas de la cognition spatiale, l'outil de réalité virtuelle permet d'analyser différents mécanismes d'orientation et d'apprentissage, tout en maintenant le contrôle expérimental des études en laboratoire et la validité écologique des études in situ (Parsons, 2015 ; Parsons et al., 2017 ; Da Costa et al., 2018).
- Dans ce protocole, les participants devaient suivre un itinéraire balisé dans un environnement virtuel mêlant différents bâtiments de la Rome antique. A la fin de leur itinéraire, ils devaient répondre (toujours en immersion) à une série de questions destinées à évaluer leur apprentissage : par exemple, ils devaient dire s'ils avaient tourné à gauche ou à droite devant tel ou tel élément de décor, dire si l'élément qui leur était présenté sur la photo était réellement présent sur l'itinéraire, ou encore placer les photos ou vidéos de l'itinéraire sur un continuum entre le début et la fin de l'itinéraire, etc. Suite à ces questions, les participants ont été replacés au début de l'environnement et il leur a été demandé de refaire l'itinéraire, mais cette fois sans les marqueurs pour les guider.
- La réalité virtuelle permet de mesurer de nombreuses variables comportementales importantes pour l'étude de la cognition et de la navigation spatiale : la position précise et continue du participant, le nombre d'erreurs qu'il commet, sa vitesse de réalisation du parcours, etc. La navigation se faisant par des sauts téléportés via des contrôleurs, elle ne génère aucun cybersickness.
Paper published in Frontiers in Virtual Reality (2020).
Authors: A. Maneuvrier, H. Ceyte, L. Decker, P. Fleury, P. Renaud
Nav(i)r
- L'impact de la réalité virtuelle sur la perception d'un individu n'est toujours pas clair. L'objectif de cette étude appelée Nav(i)r est d'étudier l'effet d'une immersion virtuelle sur le style cognitif (dépendance au champ) d'un participant. En effet, la dépendance au champ est fortement liée au cybersickness, les personnes les plus dépendantes du champ présentant des symptômes plus négatifs. La question ici est donc de mesurer la dépendance au champ avant et après une immersion afin d'évaluer l'effet de la réalité virtuelle sur ce style cognitif. Il est en effet possible que les participants recalibrent leur intégration sensorielle pour réduire le poids des stimuli visuels (non-pertinents) afin de prévenir l'émergence de symptômes négatifs.
- Le protocole était similaire à celui de Spatioprésence, mais la cognition spatiale n'était pas le but de l'étude. L'objectif était d'évaluer si l'évolution de la dépendance au champ pouvait être liée au cybersickness et au sentiment de présence, et si certains facteurs humains comme l'expérience du jeu vidéo pouvaient aider à prédire cette réaction. Cette enquête pourrait apporter une meilleure compréhension de l'interaction entre les facteurs humains et les facteurs système, mais aussi une meilleure compréhension fondamentale de la perception et de l'intégration sensorielle.
Paper published in Frontiers in Virtual Reality (2021).
Authors: A. Maneuvrier, L.Decker, P. Renaud, P. Fleury, H. Ceyte
Edupresence

- Cette étude propose d'étudier l'impact de différents facteurs humains sur la performance de rétention d'information dans un test pédagogique classique d'apprentissage en réalité virtuelle. Ses objectifs sont de comprendre si certains individus bénéficient davantage de la technologie, et en particulier de voir s'il existe des différences de performance en fonction du niveau de présence des participants (Heeter, 1992 ; Sheridan, 1992). L'utilisation pédagogique de la réalité virtuelle se développant rapidement, que ce soit pour la présentation de contenus manquants comme dans le cas du Plan des Visites de Rome ou l'apprentissage dans des situations extrêmes ou dangereuses, il est fondamental de comprendre les facteurs qui peuvent influencer l'apprentissage in virtuo.
- Ce protocole a utilisé un grand écran avec une stéréoscopie active. L'affichage stéréoscopique est un élément important de la réalité virtuelle puisqu'il permet la perception d'objets flottant devant l'écran et la perception de la profondeur. Mais lorsqu'il est utilisé à grande échelle (70 participants dans ce protocole), l'effet que la distance de la référence stéréoscopique peut avoir sur la perception des participants est inconnu. Ainsi, la distance de chaque participant à ce point de référence a été incorporée dans l'analyse factorielle.
- Cette étude fournit des discussions et des réflexions sur les applications des environnements d'apprentissage en réalité virtuelle et les promeut en tant qu'outils pédagogiques de référence, notamment dans le domaine du patrimoine culturel.
Paper in preparation.
Authors: A. Maneuvrier, K. Sammour, B. Verjut, P. Renaud, P. Fleury
Références:
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